Il y a donc environ un dixième de notre population française qui ne veut pas se faire vacciner. Passant outre les actes de violence inadmissibles, j’écoute attentivement celles et ceux qui s’en réclament, je les vois souffrir de l’ostracisme et du rejet dont ils sontvictimes. Avec étonnement, je m’aperçois vite que le refus de vaccination fédère bien d’autres refus, généralement réunis par la mise en cause du fonctionnement social et politique. Quelles pourraient donc être les différentes composantes de ce complexe mouvement ?
Malgré l’excellence de la protection sociale à la française, mise en cause d’abord de la rationalisation galopante de l’État et des professions vouées au service des humains : services sociaux, services de santé, services d’ordre, services d’éducation et d’instruction, service des EHPAD : la plupart soumis à la rentabilité et avec (pour beaucoup) la prédominance de la terrible TAA (Tarification À l’Acte). En somme la foule de celles et ceux qui refusent la marchandisation de la personne humaine : celle des professionnels qui vivent une vraie souffrance au travail, et bien sûr celle des usagers, victimes du mal-être de notre société.
Mise en cause aussi de l’incapacité des États, de la finance internationale, et des grands groupes commerciaux ou industriels à penser lucidement la redoutable menace climatique et à décider les actions fortes qui sont devenues indispensables et urgentes. La maison brule et on tente de s’adapter à l’incendie, au lieu de se saisir des extincteurs ! Incapacité - et parfois même refus - de beaucoup à regarder l’atmosphère, la mer et la terre autrement que comme un réservoir inépuisable de ressources à exploiter, dont ils ont besoin pour nourrir la machine qui s’affole… et en tirer le plus de bénéfices juteux.
Mise en cause enfin de l’inégalité croissante dans la société. Aujourd’hui tout finit par se savoir : chacun voit bien qu’il y a d’un côté les riches, ceux qui possèdent le pouvoir et les moyens financiers ; et de l’autre les démunis, qui n’ont pas de réseau qui lessoutienne, qui voient leur revenu moyen baisser au rythme des crises qui agitent la planète. On dirait que les États sont dans l’incapacité d’assurer la juste redistribution des richesses nationales. La « crise » des Gilets Jaunes nous l’a bien montré, jour après jour.
Ce Mercredi des Cendres,[1] nous avons entendu : [2] "Le voici maintenant le moment favorable, le jour du salut". Jour de conversion, de changement de regard et de pratiques. Il est bien de prier, jeûner et partager. Mais aujourd’hui, il faut faire plus. Et voir clairement ce qui aggrave l’universelle fragilité. Celle de notre démocratie dont la fragilité se manifeste par de graves atteintes aux libertés individuelles. Celle de notre Mère-Terre qui montre ses limites, tout comme celles qui ont enfanté et tout donné. Celle des couches sociales fragilisées par un manque de savoir et de moyens financiers.
Heureusement beaucoup d’humains aspirent à d’autres voies. Je contemple avec joie les petites pousses qui apparaissent partout en nos pays et qui en sont le signe. Conversion difficile : il va falloir collectivement quitter l’obsession de l’AVOIR, renoncer à la CROISSANCE à tout prix, et apprendre à devenir simples gérants de ce que la vie nous a donnés. Le mythe biblique l’exprime magnifiquement et simplement : "Le Seigneur Dieu prit l'Homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour cultier le sol et le garder". Cultiver et « garder » : donc entretenir avec soin et amour ! Pas facile d’en venir enfin à cette sagesse. Mais pourquoi pas ? Certains secteurs des Églises y participent.
Je contemple avec étonnement et admiration l’énergie qui anime les acteurs de ce renouveau, poussés par une force intérieure irrépressible. Moi qui suis croyant, je remarque leur dimension spirituelle, certes ignorée par beaucoup. Comme si, devant de graves risques, l’Essentiel enfin se faisait jour. S’agirait-il de la dimension christique de la vie collective, qui se manifesterait à cette occasion ? Elle nous appelle à renoncer à la facilité en s’attachant à regarder la réalité de la planète telle qu’elle est devenue, et en imaginant ce que nous avons à créer. A nos risques et périls ; comme Jésus qui n’a pas hésité à affronter la pensée politique et religieuse de son temps pour en faire jaillir un Nouveau Monde.
Merci aux Résistants qui sont un maillon essentiel de notre monde.
Fr.Benoît Billot, mars 2022
[1] Premierjour du carême chrétien, le 2 mars 2022
[2] Lettre aux Corinthiens 6, 2