Connexion avec notre Centre.
Pourquoi s’engager à consacrer chaque jour 30 minutes à la vie spirituelle dans cette forme particulière qu’est la méditation assise? Chacun a ses raisons particulières. Mais il en est quelques unes qui sont universelles ; en particulier l’une d’entre elles, toute simple : établir, rétablir ou entretenir la connexion avec le Centre Divin, par l’intermédiaire du nôtre, celui qui nous habite. Si nous sommes connectés à notre Centre intérieur, nous entrons dans une relation mystérieuse avec Le Centre Unique de l’univers, avec la Source Divine, qui existe indépendamment de tout, mais qui rayonne sur toute réalité. Si nous sommes dans une grande ouverture intérieure, il peut nous arriver de le sentir, ce Centre, de le ressentir. Moments privilégiés, que Graf Dürckheim nommait « heures étoilées », se manifestant en général par surprise, devant une œuvre d’art, dans la grande nature, lors d’une célébration, dans des moments très intenses de la vie humaine, parfois dans un malheur profond… Disons qu’en nous, ce Centre est le lieu où s’établit le lien vital et confiant avec la Source divine, qui est le Centre absolu. Ce lien vital existe depuis que nous avons été conçus, et nous emmènera dans l’éternité. Mais la connexion avec lui peut s’endormir, parfois pendant la presque totalité de la vie, et dans ce cas a besoin d’être rétablie.
Or il n’y a pas de réussite profondément humaine sans qu’il y ait une connexion désirée et consciente avec notre Centre intérieur. Elle est un des éléments fondamentaux de ce que Carl G. Jung appelait individuation. Par ce Centre, nous recevons le Souffle de la Source Divine, Souffle qui est nommé Rouha en hébreu, Pneuma en grec, Spiritus en latin. L’Esprit souffle dans notre humanité pour lui transmettre l’élan vital, le désir d’avancer, l’énergie dont nous avons besoin pour marcher, la joie de découvrir notre propre chemin. Tu comprends que ce défi est vital.
Les obstacles à la connexion
Bien entendu, nous connaissons de nombreuses difficultés dans la méditation. Souvent, des méditants m’ont dit : “je n’arrive pas à chasser mes pensées!” Je réponds tout de suite : c’est bien normal! Il ne s’agit pas de les refouler, les pensées, ni de les chasser, mais de les regarder passer. C’est là le premier grand travail de la méditation, qui permet de prendre de la distance par rapport aux pensées, par rapport à l’ego. Ecoute bien : si tu prends de la distance par rapport à l’ego, du même coup presque automatiquement par un jeu de balance, peut s’établir la connexion avec le centre divin. Souvent, pendant les 20 ou 30 minutes de méditation, on ne fait rien d’autre que de penser à la conversation qu’on eu hier ou au rendez-vous qu’on aura dans trois jours. La tentation est de se frapper la poitrine, et de se dire: “c’était nul, ma méditation ne servait à rien, j’aurais mieux fait d’aller boire un café”. Mais l’essentiel n’est pas d’avoir “réussi” la méditation. L’essentiel est d’avoir choisi de la faire et de s’être donné une demi heure par jour pour elle, pour le spirituel, afin de garder vivante la connexion.
Souvent aussi, j’entends des méditants constater “depuis le temps que je médite, je ne vois aucune transformation”. Disons d’abord, retiens bien cela, c’est important : les fruits, en général, ne se font pas sentir dans la méditation elle-même.. Personnellement, je médite depuis une quarantaine d’années, et je peux dire qu’il m’arrive fréquemment d’avoir autant de pensées qu’au début. Certaines périodes sont lumineuses et il y a une sorte de clarté, mais généralement les pensées restent présentes. Les fruits se font ressentir ailleurs. Rares sont les “extases”, rares sont les lévitations. Les fruits se font surtout sentir dans la vie quotidienne. Si tu y fais attention, tu peux les percevoir dans la qualité de l’attention, dans la bienveillance, dans une atmosphère intérieure de paix, qui peut s’installer dans ta vie. C’est lent, mais réel. J’ajoute que lorsque vient la vieillesse, viennent en même temps des difficultés (dispersion, peur, regrets…) qui ont besoin d’être traités par la méditation.
Entrer dans la Vie spirituelle
Normalement, la méditation fait entrer peu à peu dans la vie spirituelle. Vie spirituelle, qu’est-ce à dire ? Réponse toute simple : c’est la vie dans l’esprit, dans l’Esprit Saint, dans le Souffle divin. Facile à dire… Mais entrer dans ce type de vie, cela demande une vraie décision et un travail intérieur. Une sorte de purification, de réorientation, pour que la vie cesse d’être motivée exclusivement par les arrangements quotidiens, par tous les accommodements que l’on prend avec la réalité pour se faire plaisir. D’autant plus que, si on est lucide, on peut se rendre compte que parfois des pulsions néfastes prennent tout le champ de la conscience. Elles se nomment maladies de l’âme ou passions de l’âme. Si tu en souffres, sache que des thérapeutiques existent. Le plus difficile est de faire le premiers pas et de reconnaître la présence de l’une d’entre elles.
Or une vie dont le moteur caché est seulement de se faire plaisir, d’éviter les ennuis, d’être tranquille… appelle à une mutation. Mutation de quel type ? Il s’agit de trouver, pour notre quotidien, une autre dynamique, de changer de moteur ou de carburant. Nous avons une décision à prendre : ouvrir une fenêtre pour accueillir le grand Souffle qui nous arrive par l’intermédiaire de notre Centre. Un très bon moyen pour y parvenir : la méditation. Elle est un moment où chaque méditant se tient près de l’ouverture pour la dégager. Etant attentif, il accueille l’Esprit qui impulse alors une nouvelle dynamique, celle de l’Énergie divine. Dans la vie, il est des moments où l’Esprit se fait sentir. Il est bon d’y être attentif, car nous apprenons alors que le Saint-Souffle nous habite, « plus près de nous que notre veine jugulaire », disent les musulmans. Moments précieux qui invitent à remercier la Présence divine de ce don. Tu peux d’ailleurs le demander. C’est même l’une des plus belles formes de prière. Connais-tu la parole de Jésus “Frappez, on vous ouvrira. Demandez, vous recevrez. Cherchez, vous trouverez” (Matthieu 7, 7). Si tu lis le texte, tu découvriras que ce qu’il faut demander en premier, c’est l’Esprit Saint. Justement.
Mutations
Il y a alors mutation. Sous diverses formes. D’abord dans le fait que l’Ego cesse d’être le premier servi. Nous avons besoin de lui pour organiser et penser notre vie quotidienne. Mais il ne doit pas être le maitre absolu à bord. Du temps de la marine à voile, le capitaine du navire était dit « Maître après Dieu à bord ». Il en est de même pour l’Ego, il est maître de la vie quotidienne, mais dans la dépendance confiante en Dieu. Dans ce cas, la mutation est la remise du pouvoir absolu entre les mains divines ; il faut dire qu’elles sont d’un respect infini pour la liberté humaine. Mais, si on leur fait confiance, et de plus en plus, elles en arrivent à inspirer la vie, la pensée, l’action, l’affectivité de la personne. De plus, un autre type de mutation, conjointe avec la première, se développe : Elle permet de se dégager peu à peu des conditionnements sociaux, familiaux, religieux, moraux, reçus dans l’enfance et entrer dans la grande liberté dans le Souffle de l’Esprit.
Tu n’éviteras pas les hésitations, les clairs-obscurs, les tâtonnements. Mais lentement, le regard change. Dans des textes qu’on avait lus mille fois se découvrent des significations neuves. Dans nos rites religieux de toujours, jusqu’à la satiété fatigante, apparaît une nouveauté exaltante. On se faisait des représentations de Dieu, et soudain les voici périmées. Beaucoup pensent alors qu’ils ont perdu la foi. En réalité, ils sont sur le seuil d’une nouvelle compréhension de la foi, qui s’ancre dans leur nouvelle situation intérieure. Car tout mute, y compris la réalité de chacun. Nous découvrons que nous sommes simultanément une personne et une réalité impersonnelle. Une personne, en ce sens que nous avons notre vie, notre trajet, notre histoire, et que sans cesse nous affinons notre être. Mais nous avons aussi une dimension impersonnelle car nous sommes plongés dans l’immense univers dont nous sommes une partie minuscule et essentielle. Nous sommes du cosmos, de cet espace proche ou infini qui nous enveloppe, nous sommes une émergence de l’immense histoire de notre planète qui arrive jusqu’à nous, nous sommes unique, mais reliés aux sept milliards d’humains qui habitent cette terre…. Reliés viscéralement, car tout cela vient de la Source unique. Reliés le plus souvent de façon inconsciente avec l’univers dans ses dimensions visibles et invisibles. Nous portons donc en nous une divine réalité impersonnelle qui est appelée à émerger peu à peu dans la pensée et dans la pratique de nous-mêmes et de la foule de nos contemporains. Manifestations nouvelles dans nos consciences de la transcendance divine.
Frère Benoît Billot, octobre 2018, Groupe du Veilleur