William Shankland
Nous sommes là, nous n’avons pas laissé nos soucis ou les drames à la porte, nous avons dû décider résolument de voir comment au milieu de tous ces drames, on peut tenir debout, comment on peut ne pas perdre pied, et si possible, avec l’aide de Dieu, avec la joie qu’il faut cultiver. Merci encore à Elisabeth de nous ancrer avec le corps et la méditation (il y a eu préalablement un éveil corporel et une assise méditative). Maintenant c’est un temps d’échange, puis d’enseignement de Benoît. On va faire un petit exercice pour commencer : quelques minutes pour vous rappeler un évènement plus ou moins grave dans lequel vous avez été impliqué, et de regarder comment vous avez décidé de rester debout, comment vous avez essayé de cultiver la joie. Ce n’est pas la situation existentielle qui est l’essentiel pour nous, en ce moment. On peut évoquer l’âge, un deuil ou autre situation... Ce qui nous intéresse, c’est la manière habile dont on a essayé de faire face.
Réponses :
- Choisir la vie
- La nature
- La prière
- Prière, solidarité, sérénité
- Relaxation, méditation
- La marche dans la nature
- L’engagement professionnel, la pratique de l’art, l’amitié
- L’attention aux choses
- La joie que nous apportent les autres
- Le partage, la rencontre, l’acceptation
- La parole
- Se relier à la parole humaine et à la parole divine.
- La prière
- L’amour de la vie
- La beauté
- La sérénité
- La vision profonde
- La marche, l’émerveillement, le sommeil.
Benoît Billot:
1) Vivre en temps d’épreuve...
Tout d’abord, distinguons : Il y a les drames personnels, les drames concernant nos proches, et puis les drames de notre terre. Il suffit de consulter les médias pour être témoins de ces événements terribles, qui déstabilisent et parfois horrifient. Devant le malheur, plusieurs réactions se font jour. Une réaction de colère, parfois d’ailleurs avec le choix d’un bouc émissaire, c’est la faute à…, c’est la faute à Dieu, à monsieur X, à une religion, à un pays…. Il y a aussi la peur, un désir de sécurité et de sécurisation maximum. Notons que nous sommes devant une difficulté de notre culture : elle va vers toujours plus de sécurité, ce qui a d’ailleurs l’inconvénient grave de tuer parfois l’initiative et le risque, lorsque la sécurisation est excessive. Autre réaction : le repli sur soi-même, « je suis le plus malheureux, ma vie est fichue », sorte de victimisation. Ou aussi une dépression. Heureusement qu’il peut y avoir aussi une réaction prophétique par exemple, devant les difficultés de notre culture, on entend de temps en temps la voix de quelques grands, dont le pape François. Mais venons-en à la question que nous avons commencé à nous poser : au milieu des drames de ce monde, personnels ou collectifs, comment rester debout et cultiver la joie ?
Dans la suite du travail qu’Elisabeth nous a proposé au niveau corporel, il est important de passer de la surface à la profondeur. Les émotions sont en surface de nous-même : colère, tristesse, enthousiasme, fascination, rancune, horreur…, en somme, tout ce qui colore notre vie. Les émotions sont très importantes, mais elles sont vécues plutôt en surface. Vous connaissez bien la comparaison de l’océan, avec les vagues, y compris les énormes, dont parlent ceux qui traversent les 50° rugissants, au sud des Amériques. En fait, ces vagues ne sont que de surface, et si on plongeait, 30, 50, 100 mètres, on trouverait une espèce de calme, de tranquillité souveraine, abyssale. Et c’est pourquoi il est très important de reconnaître les émotions qui nous agitent, qui nous perturbent, et qui parfois nous déstabilisent. Mais, il est non moins important d’aller vers nos propres profondeurs, descendre vers nos bases, vers ce que Maître Eckhart appelait le « fond de l’être ».
Tout à l’heure, Elisabeth nous a proposé dans cette présence à nos pieds, et au sol qui nous porte, dans cette présence au souffle qui descendait à travers nous-mêmes vers le sol et vers le centre de la terre, de faire un exercice. On est appelés à le faire tous, lorsque les émotions sont trop fortes. Il s’agit de descendre vers notre Centre. N’oublions pas que ce que nous voyons à l’extérieur de nous même, révèle ce que nous pouvons découvrir à l’intérieur de nous-mêmes. Par exemple que nous avons une parenté avec les assassins, les violeurs, les voleurs : qui n’a pas rêvé de tuer une personne étouffante ou perverse ? Qu’est ce qui fait que je suis ce que je suis, et que je ne suis pas en prison ? Et en côtoyant les gens qui avaient fait des horreurs dans leur vie, je me suis rendu compte qu’il y avait l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre ce que eux, ils sont, et ce que moi, je suis, un ensemble de circonstances qui a fait que je suis devenu ce que je suis devenu et ils sont devenus ce qu’ils sont. Donc il est important de reconnaître, lorsque nous sommes scandalisé, effondré devant les malversations parfois épouvantables dont nous entendons parler (ou que nous avons sous les yeux), de reconnaître que ces germes-là, nous les avons en nous. Travaillons à ne pas les cultiver.
Surtout, au-delà de ces émotions, au-delà même de notre propre fragilité, parce que se trouve ce lieu calme, qui est inspiré par la présence divine. Il est bon alors de poser un acte salvateur : aller dans un monastère, marcher dans la forêt, visiter une belle exposition, se mettre à peindre, sculpter, chanter, parler avec quelqu’un qu’on aime bien, aller voir notre accompagnateur-trice spirituel-le. Rien que le fait de partager ce que nous vivons avec quelqu’un de confiance aide énormément. Et puis méditer, un des fondamentaux de notre association, prier. Il est donc souvent nécessaire d’accompagner ce mouvement vers les profondeurs de nous même par une action qui permet de prendre de la distance par rapport à l’émotion négative qui sans cela risquerait bien de nous envahir complètement.
Pourquoi la prière fait-elle tant ? D’abord parce que si je dis à plus grand que moi ce dont je souffre, je ne le garde pas enfermé à l’intérieur de moi-même, je le projette à l’extérieur. Et puis, si je m’ouvre à plus grand que moi dans la prière, j’ouvre la porte, j’ouvre la fenêtre au soleil, au vent…, il y a une circulation qui s’opère, et peut être que je vais trouver un apaisement. En tous cas je suis appelé vers ce fond sacré de la vie par où peut se faire sentir l’émergence du Divin. C’est là où se trouve « l’Etre », dont nous appelons si souvent, dans nos écrits, dans nos colonnes, dans nos conversations ; nous entrons dans la conscience de l’Être. La méditation d’ailleurs est une très bonne façon d’y parvenir parce que nous lâchons l’activité, l’avoir, les projections. Nous essayons d’être présent à l’instant et sentir la vie, la respiration qui va et qui vient, peut-être une douceur dans les épaules ou bien peut être une tension dans les jambes. Autant de manifestations de la vie ressenties dans l’instant présent : notre vie, nous l’accueillons dans l’instant. Ce que nous avons vécu hier, c’était très bien, ce que nous vivrons demain ce sera très bien aussi sûrement, mais l’important c’est ce que nous sommes en train de vivre dans l’instant.
2. Cultiver la JOIE
Il faut donc cultiver la joie et l’amour de la vie, vrai travail et un beau travail qui ouvre l’avenir. Tout à l’heure, avec Elisabeth, on se demandait ce que c’est que la joie et Elisabeth a eu une réflexion très pertinente à ce sujet. Elle faisait la différence entre le bonheur et la joie. Le bonheur disait-elle, c’est une sorte d’état stable qui se présente lorsque les choses sont à peu près en ordre, surtout les choses extérieures: je n’ai pas de fuite d’eau dans ma maison, j’ai reçu de bonnes nouvelles de mon fils qui est aux Etats Unis, j’ai passé une bonne nuit, je me suis réveillé ce matin du pied droit, j’ai regardé à la télévision, « sagesses bouddhistes », qui m’a apporté quelque chose de très intéressant, je suis entourée de choses qui…, bon, ça va bien. Bonheur !
Mais la joie ? Pour la comprendre, je crois qu’il faut regarder les petits enfants. Depuis hier matin, au Prieuré, à l’hôtellerie, nous avons un groupe de quatre couples avec leurs enfants petits, entre 1 et 5 ans. Ces enfants se trouvaient dans un milieu tout à fait favorable, avec leurs parents, avec deux jeunes filles qui les faisaient travailler afin que leurs parents puissent avoir les échanges pour lesquels ils étaient venus, donc tout allait bien. Et c’était magnifique de les voir : à certains moments, ça explose de joie, on entend leur rire, un rire qui a une tonalité tout à fait particulière, le rire du « oui à la vie », le rire de la joie qui leur vient dans l’instant. Rien n’est construit, ils n’ont rien fait pour ça, mais soudain, parce que les circonstances le permettent, ça leur est donné, ça jaillit. Et moi qui les regardais, je me disais que l’expérience de la joie, c’est quelque chose qui est donné, et aussi qui secoue le corps, l’âme et l’Esprit, et donc, en général de façon inconsciente, une réalité qui opère la jonction entre les trois dimensions de la personne.
Cette joie des enfants, nous l’avons tous connue, parce que nous avons tous été enfant et avons goûté à cette saveur extraordinaire de la vie. Les petits bébés dans leur berceau, quand ils ont quelques mois, ont aussi des explosions de joie, ils agitent frénétiquement bras et jambes, et vient leur rire, ou leur sourire. C’est que les expériences spirituelles ne sont pas réservées aux vieux bonshommes comme moi, elles sont de tous les âges. Evidemment les enfants ne peuvent pas savoir de quoi il s’agit, et c’est nous les adultes, qui avons à contempler ces éclats de vie, et à laisser revivre en nous, cette profonde disposition enfantine qui permet de s’ouvrir à la joie, et donc à la vie.
Cette joie-là est donc de l’ordre du surgissement, sorte de don divin. A un certain nombre de reprises, dans la vie du Christ, il est noté que « il exulta », quand il avait entendu quelque chose qui l’enthousiasmait. C’est pourquoi il est important de réaliser qu’il s’agit d’un désir venant des profondeurs de nous même : « Ah ! Si je pouvais connaître la joie » et de le transformer en prière. Surtout dans ces moments où le défaitisme, la tristesse, le pessimisme, la colère parfois, nous travaillent. « Seigneur, fais-moi connaître ta joie ! ». Même si c’est un don, il faut préparer le terrain. Je me suis demandé comment. Lors de notre échange préalable, vous en avez signalé un certain nombre de moyens, tels que : la marche dans la nature, la pratique de l’art, le fait d’être relié par la parole avec les autres et avec l’Eternel, la vision profonde, le soleil, un bon sommeil vécu en paix et le réveil au matin, reposé, plein d’énergie pour une nouvelle journée… J’aimerais en ajouter quelques autres
Reconnaître notre complexité :
Tout simplement parce que l’être humain conjugue tout en lui. Nous avons en chacun d’entre nous de l’être et du non-être, de l’amour de la vie et du désir de mourir, bien sûr de la joie en germe, et une tristesse lourde, de pénibles souvenirs d’échec et aussi de réussite. Consultez-vous vous-même, et vous verrez que tout cela est présent. Il est très nécessaire de se tenir lucidement dans cet entrelacs, entre ces deux pôles qui paraissent opposés, et que cependant, nous devons garder présents dans notre conscience. Par exemple vous êtes dans la déprime, mais n’oubliez pas qu’il y a de la gaîté quelque part en vous : ne vous enfermez pas dans la tristesse, faites venir la gaîté. Vous êtes dans la réussite, on a chanté vos louanges, vous avez réussi quelque chose à quoi vous teniez beaucoup, mais faites venir aussi l’échec, le souvenir d’un petit peu d’échec. Comme deux arbres qui poussent l’un à côté de l’autre et dont les branches se traversent mutuellement, faisons venir, dans chacun de nos états d’âme, le contraire, de façon à ce que tout s’entrelace à l’intérieur. Important de tenir ensemble ces pôles si différents et d’entrer dans une sorte de conciliation progressive.
Voici deux citations, l’une de Dietrich Bonhoeffer, un pasteur allemand engagé, opposé au régime nazi, qui a été emprisonné, puis exécuté en 1944. Par chance, on a pu conserver ses « lettres de prison ».
« Aujourd’hui, je pensais que douleur et joie font partie, elles aussi, de la polyphonie de toute la vie et peuvent coexister l’une à côté de l’autre, indépendantes. La vie n’est pas refoulée dans une dimension unique mais elle reste polyphone et à plusieurs dimensions. »
J’ai bien aimé son image de polyphonie. Nous avons en nous un orchestre où il y a le meilleur… et le pire, il y a ceux qui tapent sur des casseroles, en même temps que les premiers prix de conservatoire : tous cherchent à s’accorder, en donnant à chacun sa place.
Une autre citation, celle de Friedrich Nietzsche, qu’il adresse aux croyants d’Allemagne, parce qu’il avait une sorte de colère contre les Eglises de son époque, fin 19°, début 20° siècle :
« Si vous éprouvez absolument la souffrance et le déplaisir, en tant que mauvais, haïssables, dignes d’être supprimés, en tant que tare de l’existence, ah ! Combien peu de choses savez-vous de la félicité de l’homme, vous autres âmes confortables et bienveillantes, car bonheur et malheur sont deux frères jumeaux qui, ou bien grandissent ensemble, ou bien, comme c’est le cas chez vous, demeurent petits ensemble ».
Si nous avons une faille intérieure, une tendance perverse, reconnaissons là, et essayons de la canaliser, de la vivre dans le discernement et la prière, mais ne rêvons pas de la supprimer. D’abord parce que c’est impossible et que nous sommes appelés à vivre avec. Mais en plus, si nous la reconnaissons, il y a des chances pour que nous puissions en faire quelque chose de très positif. En écrivant cela je pensais au Starets Silouane qui est mort au mont Athos en 1938. C’était un grand et puissant gaillard ; quand il avait 17, 18 ans, il aimait beaucoup se battre contre les jeunes du village voisin, comme on fait à cet âge-là : on partait dans des expéditions punitives pour châtier ceux qui avaient le tort d’habiter ailleurs. Il était si costaud qu’un jour, ayant démoli et jeté à terre un de ses adversaires, Silouane l’a regardé et a cru qu’il était mort. Ce fut pour lui un réveil terrible : il y avait ça en lui, il était capable de tuer. Heureusement son adversaire s’en est tiré. Mais c’est à la suite de cet événement que Silouane, après de longues recherches, a fini par entrer dans un des monastères du mont Athos. La discipline monastique, l’éducation à l’intériorité et la prière lui ont permis de mettre cette puissance et cette violence au service de son chemin d’intériorité, au service du Christ, et de tous les gens qui venaient le voir pour avoir un conseil, une parole. Si bien qu’il a fini par être canonisé par les Eglises orthodoxes.
Vous connaissez cette parole du psaume 125 : « ceux qui sèment dans les larmes, moissonnent en chantant ». Ils sont dans les larmes, dans la tristesse, dans l’épreuve, mais ils continuent à semer, à croire en l’avenir, à croire que ce qu’ils sont en train de semer, ça va pousser, ils continuent à espérer, parfois contre toute espérance, et voilà pourquoi, un jour, ils moissonnent en chantant. Car pendant le temps des larmes, la moisson croissait, le chant s’élaborait.
Cultiver les relations avec les autres :
Rester relié, rencontrer les autres, partager avec eux, côtoyer leur joie s’ils la vivent, mais surtout se réfugier dans leur amitié lorsque les malheurs du temps nous écrasent. Relié comme dans la prière. Pouvoir rencontrer quelqu’un en qui on a confiance, qu’on aime bien, qui a pris du recul avec ses propres difficultés, et qui sait donc écouter : il va nous accueillir tranquillement, ne jugera pas, ne donnera pas de conseils inadaptés, mais va simplement être là pour nous, parfois pour compatir. Ca n’a l’air de rien, mais ça soigne, ça prépare le terrain de la joie ! Il est donc très important de garder vivantes et même d’approfondir les relations de ce type.
Mais n’oublions pas que l’autre a sa propre complexité, ses pôles contradictoires et son opacité. C’est pourquoi, lorsqu’un ami vient me parler de lui (d’elle), il me faut renoncer à lui donner des conseils qui peut-être sont bons pour moi, renoncer à le changer. Il peut se laisser changer par le Souffle divin, mais ce n’est pas moi qui vais faire cette œuvre de salut. J’aime être avec lui, mais sans jugement. Et c’est ainsi que je garde un lien profond avec lui et au-delà de lui, avec la foule humaine, avec la dimension de communication, de communion, avec ce que les bouddhistes appellent l’interdépendance.
Lorsque nous étions adolescents, nous avions besoin d’être tout contre, tout contre nos camarades, nos amis, tout contre le garçon ou la fille avec lequel ou laquelle on se regardait dans les yeux. Après être sortis de la fusion parentale, c’était une autre fusion qui se présentait, tout à fait nécessaire. Mais la vie nous a appris qu’il fallait un jour sortir de la fusion, par exemple avec le conjoint : elle nous empêchait d’être nous même. Si nous sommes en travail pour en sortir, nous allons avoir la chance d’apprendre, un peu, et puis de plus en plus, ce qu’est la solitude. Elle fait peur à la foule humaine qui s’en prémunit avec constance et toutes sortes de moyens. Mais impossible d’avancer dans notre humanité et notre foi sans avoir un lien avec la solitude. Car c’est grâce à elle que nous nous trouvons nous-mêmes, que nous apprenons à « vivre avec soi-même », comme il est dit au sujet de Saint Benoît. C’est donc elle qui va nous permettre de faire l’expérience de l’Être. Il n’y aura pas de vieillesse heureuse sans cela : « être seul avec le Seul ». D’autant plus important pour ceux et celles d’entre nous qui sont dans cet âge de la vie ; lorsque nous vieillissons, nous voyons devenir invalides physiquement ou psychologiquement des personnes qui faisaient partie de notre vie. Nous n’arrivons plus bien à avoir de contact avec eux. Ou alors ils s’enfoncent dans l’inconscience et finissent par mourir. Raison de plus pour apprivoiser et accueillir notre propre solitude.
Faire mémoire de notre vie :
Les psys appellent cela « anamnèse ». Essayer de se souvenir de tous les événements qui ont marqué notre existence et de découvrir le petit fil d’or qui va de l’un à l’autre et qui arrive jusqu’à aujourd’hui. On va découvrir que notre vie n’est pas du tout incohérente, elle a sa structure depuis que nous avons été conçu par nos parents. Peut être qu’on a pris beaucoup de chemins de traverse, que ça va un peu dans tous les sens, mais tout de même, à mesure que les années passent, on comprend de mieux en mieux ce pourquoi nous sommes faits. Et faire mémoire, ça va nous permettre justement de découvrir ce trésor que nous portons en nous et que nous sommes les seuls à porter. Chacun d’entre nous, nous avons une mission, nous apportons sur cette terre quelque chose d’unique que personne d’autre n’apportera, et c’est pourquoi il est capital pour nous de savoir quel est justement cet « unique ». Nous avons à faire attention à lui, à le laisser croître, et puis généreusement, le mettre à disposition de qui a besoin. Ce peut être tout simple, pas besoin d’être Mère Térésa ou Beethoven ou Nelson Mandela. Évidemment ceux-là, ce sont de très, très grands mais à côté des très grands, il y a beaucoup de place pour tous les autres. Donc accepter notre complexité, nos erreurs, accepter que nous soyons unique et aussi accepter que nous sommes seuls : nous avons à apprivoiser la solitude.
Cultiver et soigner l’énergie vitale :
Il s’agit là de lutter contre les « à quoi bon », « à quoi ça sert ? », « qu’est ce que je pourrais faire ? », « Que suis-je, sinon une petite poussière sans intérêt ni utilité ! ». Si nous roulons ces pensées dans nos têtes, nous entrons dans une terrible sensation d’impuissance. Bien sûr, nous avons de nombreuses limites et nous ne pouvons pas tout, mais le peu que je peux faire ou dire ou être, pourquoi ne pas s’y donner ? Quelques milliards de « peu », ça fait quelque chose de gigantesque. Quand on s’y met à quelques-uns, à beaucoup, ou à énormément, ça change la face de la terre. Il faut donc cultiver notre énergie vitale. Si on ne le fait pas, si on se laisse aller à ne plus rien entreprendre ou espérer, cette énergie se retourne contre nous. Et il y a beaucoup de gens que j’ai connus qui, ayant sombré dans cet « à quoi bon », ont été rattrapés par leur énergie vitale, qui, d’une certaine façon, les a tués. N’étant plus investie dans un projet, dans la participation à une grande œuvre, dans quelque chose de beau à réaliser, elle s’est retournée négativement contre eux même et les a emportés parfois dans une déprime, parfois dans une amertume et un rejet du monde et des autres, parfois dans une maladie, parfois même dans une tentative de suicide.
Avoir foi :
Je ne parle pas forcément de la foi chrétienne : il y a de nombreuses formes de foi, importantes et respectables. Oui, il faut avoir foi : dans Quelqu’un, ou quelque chose qui dépasse tout ; pour dire les choses autrement, il nous est indispensable qu’il y ait de la transcendance dans nos vies. Si nous nous laissons enfermer dans un monde uniquement humain, même s’il y a du respect et de l’entraide, quelque chose en nous s’étiole, s’étouffe. Car nous sommes faits pour plus grand, plus généreux, plus fort, plus bienveillant. Il est un passage de l’Evangile de Jean qui rapporte quelques paroles que le Christ a prononcées juste avant d’aller mourir, en priant le Père pour les disciples qu’il avait choisis: « Je prie pour eux, pour ceux que Tu m’as donnés…. Garde-les en Ton nom pour qu’ils soient uns comme nous sommes un… Maintenant, je vais à Toi, et cependant je continue, en ce monde à dire ces choses, pour qu’ils aient en eux ma joie dans sa plénitude. » (Jean 17, 9….13) On voit dans ces paroles cette foi extraordinaire qu’il a dans les quelques disciples qui l’entourent, dans la vie, dans l’avenir, et en Dieu. Le Christ prie pour les disciples, pour qu’ils connaissent la joie. On le voit, le désir le plus cher de l’Être divin, c’est que nous soyons dans la joie. Lorsque nous nous ouvrons à la joie, c’est un peu comme si on donnait au Seigneur la permission de la faire germer en nous.
Ouvrons-nous donc à la joie, demandons-lui la joie. Si vous ne savez pas qui prier, jetez votre prière dans l’atmosphère, on ne sait pas où elle va, mais ça va sûrement là où il faut : les postiers célestes sont très compétents. Et préparons nous ainsi à la recevoir, et la foi que ça peut nous être donné. Et lorsque nous sommes dans un moment de joie, n’hésitons pas à le partager avec d’autres. Envoyons un petit courrier, un petit courriel, un coup de téléphone, quelque chose, pour dire aux autres : « Ah ! Si vous saviez comme je suis dans la joie ». La plupart du temps, on ne sait pas dire pourquoi elle est là, car elle vient des profondeurs mystérieuses. Et c’est contagieux.
Point d’orgue 17.05.2015 -- Frère Benoît Billot